dimanche 9 mars 2014

Eloge d’un pays aux frontières mentales et maritimes

04/03/2014




Un an ici, ça vaut bien un billet.

C’est hier que ça m’a pris, en sortant du boulot, quand je tombais dans les embouteillages.
Embouteillages, pourquoi ?
Parce que la route passe le long de l’aérodrome, et qu’un avion allait atterrir, alors, il fallait ralentir, pour le regarder se poser.
Ce n’est qu’un avion ?
Oui,
Mais un beau spectacle tout de même.

Ce matin c’était
un mec qui marchait-titubait
aux côtés de sa femme en robe mission.
Il est tombé par terre
sur ses deux genoux,
droit,
sans se vautrer.

Puis, il s’est relevé,
sans expressions,
ni de douleur ni de honte,
il était juste tombé.
Il devait sortir du Nakamal.
Oui, à 8h du matin.


Puis c’était W,
il était là,
devant là où je me gare tous les matins,
à attendre,
sans savoir que c’est ma place,
que je me gare là.

Y’a 2 semaines c’était Casimir,
devant mon taff,
par « hasard » aussi,
de bon matin.

Je me suis dit qu’ils valaient bien un billet,
Tous,
ce sublime et incroyable pays,
ses beaux et fiers habitants,
ses magnifiques paysages,
ses possibilités d’activités,
son ambiance indescriptible,
si on veut bien la voir, l’accepter,
absolument éclectique,
magique.

Toutes ces petites choses du jour le jour, et de la nuit,
signifiantes et indicatives, si petites soient elles.


Le pays du temps.


« Vous vous avez l’heure, nous on a le temps » disent parfois les kanak.

Kanaky,
royaume de l’instant,
l’instant présent,
insaisissable,
mystique,
transcendantal.

Nous ne sommes pas habitués à cela,
et ça dérange, parfois,
trop occupés par notre mental,
avec toujours cette même question en tête :
« Et après ? Et ensuite ? Et puis ? »


Après rien !
On apprécie, un point c’est tout !


Et on a envie, de se prêter au jeu, la vie semble si facile, si plaisante.

Les silences ponctuent les discussions, le temps d’assimiler.
Qui eut dit que Palabrer voyait son vrai sens donné par le dictionnaire : c’est scandaleux.
Quelle autre utilité que discuter veux-tu donner à une discussion?
Apprendre ?!
Mais à chaque seconde tu apprends,
Ouvres les yeux,
Ouvres tes sens.

Stop ton mental, Arrêtes !

Ici on tchatche, de tout, de rien, et c’est gratos.
C’est un Art !

Quelquefois c’est un arc en ciel,
qui se dessine sur l’effet de Foehn de la chaine.
Les nuages lèchent les montagnes.
Là-bas il pleut.
Ici, c’est le cagnard !

Quelquefois c’est en rando,
ou d’un quelconque point de vue,
de sur l’eau éventuellement,
que le drapeau se dévoile,
devant vos yeux,
et en relief :

Le Vert intense des forêts luxuriantes, incroyablement exotiques, sauvages, primitives, malheureusement pas primaires. Les plus gros arbres ont été coupés, comme partout.

Le Rouge flamboyant de la latérite, puissant, intense, multiple. Du orange au violet, parfois jaune ou rose, qui tourne toujours or au coucher du soleil.

Le Bleu de la mer, du ciel, du lagon, des rivières… Profondément émotionnel, translucide, voir cristallin. Sa biodiversité constellée de couleurs et de formes : sous la mer, quel spectacle !
Que ce soit poissons, coraux, algues, tortues, mollusques ou crustacés, y’en a pour tous les goûts, et vous n’y verrez jamais tout, jamais assez.

De ces trois couleurs, on trouve toute la palette de coloris.
Et le soleil, et les nuages, pour les nuancer, encore.

Les poissons ont des noms d’oiseaux ou d’animaux: poisson perroquet, picot hirondelle, poisson papillon, Vivaneau, etc…

Les oiseaux ont toutes les formes et couleurs : Pigeons vert, perruche, Nautous, Cagous, Colibris, Pinsons, Mouettes et Puffins. C’est à l’aube et au crépuscule qu’ils pépient et s’égosillent, pendant que les chiens de tous les voisins hurlent à la mort sans se faire engueuler, les maîtres sont trop occupés à dormir ou à écouter la télévision dont le volume est au maximum.

La roussette, chauve-souris géante arboricole, qu’on entend parfois crisser dans l’arbre d’à côté à ces mêmes horaires.  Je n’ai pas encore eu l’occasion de goûter sa chair, bien qu’il paraisse qu’avant d’être dépecée elle pue la pisse, puisqu’elle dort en bande, à l’envers, celles du dessus font sur celle d’en dessous… un peu comme dans notre société… 

La végétation aussi, est extraordinaire : Flamboyants, Bagnans, Kaoris, Gaïac, Bois de Fer, Pins colonnaires, Manguiers, Papayers, Bananiers, Cocotiers et Niaoulis, se côtoient, en toute magnificence.

Les gens un peu connectés parlent de la force de la terre, de son énergie, masculine et antériologique. Une sorte de retour vers le passé, pour mieux panser les plaies, se recadrer, et être projeté dans sa voie. De ces montagnes, qui vous mystifient dès que vous sortez de l’aéroport, de cette terre rouge, lourde, comme les métaux qu’elle contient. De leurs vies antérieures, qui les tiraillent ou les propulsent, selon les cas. Et je ne peux qu’acquiescer, de ce bout de Gondwana, survivant d’un autre âge, et de sa biosphère, elle aussi colonisée, envahie.

On se méfie des cerfs, des tilapias, des papyrus, des faux mimosas et des zoreilles : des espèces résistantes et ultra-envahissantes. Mais pas les mieux adaptées.

La beauté et la force de caractère des locaux est saisissante.
Leurs traits, leurs mimiques et leurs yeux parlent d’eux-mêmes, 
et de cette terre, 
de leur fierté, 
et de leur pudeur, 
pour l’œil attentif.

Le calme, la force tranquille.
La prestance de l’Homme, simple et vrai.

Le respect, l’écoute et le partage bien souvent,
l’hospitalité, plus rare, et précieuse, mais excessivement généreuse, lorsqu’elle se présente. 

D’autres peuples du pacifique sont présents, en différentes communautés.

Et l’on a envie de se prêter au jeu,
mais les règles,
us et coutumes,
que nous ne connaissons pas,
restreignent parfois les champs d’actions ou les intentions ;
à trop vouloir rester dans ce respect mystique.
A chacun sa culture, et on n’aime pas partager trop vite, on raconte doucement, on compare peu, et on ne se mélange pas en un clin d’œil.

En même temps dommage, et heureusement.
Les hommes sont ainsi faits.

Alors, on s’évade de sa condition et de son mode de pensée, conditionné, on sort du carcan, qui revient au galop. En face, la porte s’ouvre, et ça fait du bien, mais l’on n’a pas accès, à toutes les pièces du puzzle.  

Ou alors on se réfugie dans le domaine du connu, et on re-rentre, dans les mêmes reflexes sociaux que ceux d’où l’on est parti.

La reproduction mimétique est à l’œuvre.
C’est ça, la colonisation.

Certains sont cultivateurs, d’autres pêcheurs, chasseurs, cow-boys ou businessmen, trop souvent ouvriers, ou disqualifiés, ne rentrant pas dans les cases.

Tout ceci se perd chez les nouvelles générations, trop francisées, nourries à la facilité, aux technologies, et à la ronchonnade de cour de récré. 

Déracinés par des idoles mi- prophètes mi- malades, des idées facétieuses surgies d’un caprice d’enfant, des besoins superficiels, ou des jalousies à germe violente. Une réalité multiple, trop dense et trop vaste, entremêlée, dissipante et dissipée.

Puis l’envie de se tirer aussi, de voir ailleurs, des buildings en Australie, des burgers aux Stazunis, des saucisses-lentilles et du cassoulet, en France. Oui c’est là-bas qu’ils iront, en premier. 

Mais c’est la grande marche du monde, me diriez-vous.
Je le crois, et j’en suis attristé.

Les nouméens sont d’ailleurs indéniablement une espèce à part.
Qu’ils soient Calédoniens ou non.
Ça gigote et ça couine, ça a décidé de construire son rêve ici, sans demander la permission.
Alors, la place est maigre, et ça se débat pour s’en faire une.
Pour se goinfrer au grand banquet, avant les autres. 

Des jeunes calédoniens, les nouméens issus de toutes les commodités sont sans doute les moins fiers de l’être, les moins impliqués, les moins dans l’ambiance et les moins authentiques.

Et on cultive son énergie aussi, entre deux bouffées de poussière de mine ou de fumée d’usine, l’accès à l’air frais est invité, par toutes sortes d’activités. Des sports en pagaille, des loisirs à la pelle, très marins, parfois terrestres. 

Du trail à la plonge, de l’Escalade à la voile, du Taï-chi à la pêche, de l’apéro à la sieste.
Tout est possible, mais pas toujours financièrement très accessible.

Le simple plaisir enfin trouvé de prendre une douche froide,
dès le matin,
à peine émergé.

Une petite île ?
Pas si petite.
Chaque aire à son histoire, ses spécificités, et chaque tribu ses héros et martyres.
Chaque lieu son paysage, son atmosphère, et chaque biotope ses bestiaux.

Ici on aime à croire qu’on est quasi-indépendant, hormis les subventions de métropole et les importations… En cette nouvelle année, nous avons vu fleurir de nouveaux billets de banque :
« Vous voulez l’indépendance ? Voici des nouveaux billets »…
Ce stratagème révèle plutôt la volonté de faire sortir de leur tanière les renards fiscaux qui vont devoir se démerder pour changer leurs matelas de cash en nouveaux billets avant qu’ils soient obsolètes. France –Calédonie, renards fiscaux, même combat !

Pauvre indépendance d’ailleurs,
à moins que la France nous lâche, je ne vois pas.
Les Kanak sont déjà en minorité de vote et pas tous indépendantistes de surcroît.
Et Quelle indépendance ?
Tous dehors ?
Certainement pas.
Ni pour eux, ni pour les autres.
Peut-être réussiront-ils à garder la province Nord.
Les îles loyautés, pour le coup, ne sont pas inquiétées.

Le destin politique de la Calédonie est l’épée de Damoclès de son équilibre,
Comme chez sa mère patrie.
Le destin commun et l’éducation.
Je ne vois pas bien d’autres alternatives.

Et cette Indépendance, peut-être vaut-il mieux l’avoir dans la tête et dans son corps.
Quand on voit dans ce pays, tout ce qui se fume et tout ce qui se boit,
la digne fille de sa mère la France…

Et les absurdités, tristesses ou dangers que ça apporte…
Des chamaillades de grands enfants, drôles à en pleurer,
pour un mot, pour un geste,
qui tournent au cauchemar lorsque les protagonistes sont aveuglés par l’ivresse.
Ainsi le journal titre régulièrement : « un homme abat sa femme à coup de machette » ou « Il tire sur son cousin à 6h du matin » etc…

Pour un Oui, pour un Non,
C’est ainsi,
C’est le moment présent.

Demain, il s’excusera, regrettera, ne se rappellera probablement pas.
Mais pour le moment, il est fâché, il est dangereux.

Sur le qui-vive en permanence,
à l’affut du danger d’un moindre mec bourré.
Fatiguant mais stimulant.
Au moins on se rappelle qu’on est vivant,
Pas qu’un simple pantin de cette société qui oppresse notre magnificence.

Et ça donne envie de montrer l’exemple,
de bien se comporter,
de mener une vie saine et droite,
et de transmettre ce qu’on a vu, ce qu’on a appris.

Pourquoi pas prof ?
Cette question me revient, comme une évidence.
Pour leur apprendre que je ne sais rien,
Que je sais que je ne sais rien,
Et que c’est pour cela qu’il faut être curieux.
C’est ce vers quoi je me tournerai,
en brousse,
si je ne parviens pas à mon plan A,
probablement.

« Il y a encore tout à construire ici !» entend-je souvent de la bouche de nombreux plus-vieux-génaires que moi, qui ont envie de croire, en moi, en l’évolution, en la croissance, le confort…

Parfois, j’ai envie de les croire, de les suivre, mais franchement :
Voilà qu’on reveut tout contrôler, les plantes, la forêt, la montagne, le lagon et ses habitants.
Tout ce qui fait le charme de cette terre.
Foutre du béton, ici où là, creuser des trous, piller la terre, exploiter, le peuple y compris.
Rattraper nos anciennes conneries en en faisant d’autres, peut-être pour oublier plus vite les anciennes d’ailleurs.

Voilà qu’il y a tout à construire.
Fini les apéros sur la plage, fini les campings sauvages, les baignades gratos, et la guitare au bord du feu. Il y a tout à faire…
On va mettre du bitume ici, et de l’asphalte là, un Hôtel, et une boite de nuit là-bas… et un hypermarché en dessous…

ça me fait penser à un copain/collègue que je connais, qui met la main à la patte, qui aime bien construire, qui s'est construit lui même, une vie standard tout confort saupoudrée de luxe qui devient fade et banal avec le temps comme neige fond au soleil de midi. Puisque nous venons de la même contrée, il pense que je suis formaté comme lui, et que je pense comme lui, me branche sur mille plans de contacts et carrières.
Pour m’attirer dans les mêmes spirales que lui, pour se conforter un peu plus ?
 Prisonnier du Passé, enchainé à l'avenir, le temps présent ne m'est utile que pour réaliser l'un ou l'autre.

« Regardes, je suis pris au piège, mais ce n’est pas si déplaisant, et puis, c’est ça la vie… »

Peut-être les animaux du zoo se disent ils la même chose,
une fois que le feu du dedans s’est éteint du fond de leurs yeux.
Peut-être était-ce pour cela que les ‘adultes’ disent aux jeunes :
« Profites, ça ne durera qu’un temps, trop court ».

Eh bien je refuse.
Je refuse de m’engager, de faire un choix, de trancher, de me restreindre, de savoir de quoi sera fait demain, d’arrêter de profiter, sobrement et sainement, ni que ça ne dure qu’un temps trop court.

Et lorsque j’en aurai eu vraiment assez,
de tous ces sketches et de toute cette mascarade,
Peut-être saurez-vous me trouver,
entre le cri du Cagou et l’odeur du Niaouli.

« Casse pas la tête » disent ils aussi.